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Traverser le lac Baïkal, au coeur de la Sibérie ça vous tente ?

Dernière mise à jour : 2 déc. 2023


Crédit photo : Julie Monière


Biologiste de formation, camerawoman et photographe de talent, Julie Monière parcourt le monde depuis plus de 20 ans à la découverte de nouvelles cultures et paysages. Elle réalise des documentaires d'exception sur la beauté sauvage de la nature et nous rend compte de sa fragilité. Elle a participé à la réalisation de nombreux films grand public notamment pour la télévision anglaise, la BBC ou encore Disneynature, pour ne citer qu'eux...

Mais cette fois ci, Julie a décidé de se lancer en février 2020 dans sa propre aventure : traverser seule et en toute autonomie le lac Baïkal du Nord au Sud. Comme elle me l'explique, c'est le 6 ème plus grand lac au monde. Il s'étend sur une longueur de 636 km avec une largeur variant de 24 km à 79 km pour une superficie totale de 31 722 km.


Pourquoi as-tu décidé de partir aussi loin et en pleine condition hivernale ?

J'ai toujours apprécié les contrées éloignées et les grandes étendues enneigées. A chaque fois que mon travail m'avait menée dans des espaces glacés, que ce soit en Arctique ou en Antarctique, j'avais ressenti un apaisement inexplicable. Sans doute que j'étais transportée par la beauté surnaturelle de cette nature encore vierge de toute activité humaine. Dans cet environnement sauvage à l'état pur, mon esprit se libère et se met lentement en mouvement. Je suis comme portée par une force naturelle qui me dépasse.

Ce voyage sur le lac Baïkal m'est donc apparu en rêve comme une évidence. J'aime ces vastes espaces blancs à perte de vue, ils m'aident à retrouver un certain calme intérieur et sérénité. Après une période professionnelle très active, je souhaitais faire une pause et me retrouver dans des paysages hors du temps afin d'ouvrir une nouvelle parenthèse dans ma vie. Je voulais me sentir comme un enfant, sans peur et avec un regard neuf, plus en connexion avec mes sens et le monde qui m'entoure. Je voulais aussi apprendre à mieux me connaître à travers ce défi sportif. J'avais envie de me mettre en danger, de vivre à fond comme au premier souffle. Je voulais trouver le temps de rencontrer le lac Baïkal en tête à tête pour qu'il me guide vers un nouveau chemin.


J'ai cru comprendre que ton voyage ne s'est pas passé comme prévu ?

C'est comme la vie, on a beau vouloir tout planifier, le destin en décide parfois autrement. Il faut alors apprendre à s'adapter aux changements et évènements dès qu'ils se présentent à nous.

Je m'étais fixée initialement un objectif bien trop optimiste de 30 jours pour relier le Nord du lac au Sud. C'était tout simplement la durée de mon visa russe! En fait, c'était une grosse erreur de ma part, car je m'étais mis beaucoup trop de pression mentale dès mon départ y compris logistique.

J'ai d'abord été surprise par la quantité de neige anormalement haute pour cette saison à cause d'un climat trop doux, ce qui a considérablement ralenti ma progression avec ma Pulka, c'est le nom suédois que l'on donne au traineau qui me servait à transporter mes 80 kg de matériel de survie, ma nourriture, ma tente, etc... A cette période de l'année, en Février, il devait y avoir des températures négatives nettement plus basses, de l'ordre de moins vingt degrés, ce qui aurait dû logiquement limiter les chutes de neige.


Crédit photo : Lionel Thillet


Dès les premiers kilomètres, devant faire face à tant d'imprévus, la peur et mes émotions m'ont complètement envahie. Mon cœur s'est mis à battre à 300 à l’heure, lorsque je me suis enfoncée dans cette immensité blanche qui m’enveloppait à la fois le corps et l'esprit. Le lac Baïkal m'a mis à l’épreuve du doute. J'ai rapidement compris que la distance des 700 km que j'avais prévue de parcourir pourrait prendre bien plus de temps que je ne l'imaginais. Alors plutôt que de transformer mon rêve en épreuve, voire même en cauchemar, je me suis dis que ce qui comptait vraiment ce seraient désormais les pas que je ferai au jour le jour, d'heure en heure. Après je verrai bien où tout cela me mènera...

Si je m'étais entêtée à poursuivre mon objectif initial en me projetant dés le départ sur l'arrivée, alors je me serais empêcher de prendre du plaisir et de vivre pleinement le moment présent.

Complètement résignée à mon sort, j'ai donc décidé de retourner à mon point de départ initial pour rejoindre mon équipe d'assistance. Une fois à l'abri au camp de base, le capitaine de glace Valeria a voulu que je fasse appel à un chaman sibérien, pour qu'il me bénisse ainsi que ma Pulka. C'est une tradition là-bas : on ne vous laissera jamais partir marcher seule sur un lac gelé sans vous protéger des mauvais esprits. Comme je voulais absolument repartir au plus tôt, j'ai suivi ce rituel chamanique. J'ai bien fait car si j'avais renoncé, je n'aurais jamais pu y retourner à cause de la pandémie liée au coronavirus : les frontières étant fermées quelques mois plus tard aux étrangers.


Crédit photo : Lionel Thillet


Finalement, ce second départ était le bon, même si je gardais toujours en tête mon entorse à la cheville survenue quelques semaines plus tôt lors de mon entrainement et qui pouvait se réveiller à tout instant. Malgré ma blessure, mon médecin m'a quand même laissée partir, car il avait estimé que le tracé de cette longue marche était sans dénivelé et donc sans danger pour ma santé.

En tenant compte de cette fragilité physique, chaque jour de cette expédition était pour moi un nouveau challenge pour trouver mon juste équilibre et le bon rythme de marche. A travers mes différents tournages de documentaires, le Grand Froid, je connaissais bien, mais sur cette expédition là, je savais que ma seule expérience professionnelle ne suffirait pas et qu'il fallait me dépasser à la fois physiquement et moralement.


​Je marchais généralement à partir de 7 heures du matin jusqu'à 16 heures de l'après-midi. Peu à peu, l’effort régulier de la marche m'a procuré une nouvelle force et énergie. Chaque jour, je suivais la même routine : je me levais, je me préparais et défaisais ma tente sous des températures gelées et un vent glacial. Chaque soir, il fallait aussi préparer mes réserves d’eau essentielle pour ma survie du lendemain.


Quel est ton message à travers cette longue marche ?

Il faut rappeler sans cesse que la marche a joué un rôle essentiel dans le développement cognitif de l’humanité. Marcher est fondateur de la condition humaine. Quand l’enfant se dresse et fait ses premiers pas, il découvre le monde et va vers les autres. Il ressent alors un bonheur intense. Cependant, la marche est devenue, aux yeux des adultes, tellement naturelle, qu’on ne réalise plus son importance. Elle est pourtant une si grande source de plaisir et permet une connexion directe avec notre environnement. Marcher invite à être plus attentif au monde extérieur. Marcher sur de longues distances autorise aussi à l’introspection, on chemine vers soi-même qu'on le veuille ou non. On voit plus clair en soi et on trouve parfois des solutions à ses problèmes. La marche m’a aidé à mieux penser, à rassembler mes idées et à me reconcentrer sur l’essentiel. Marcher m’a permis de prendre de meilleures décisions à des moments précieux et importants dans ma vie.

C’est enfin une façon de redécouvrir le silence sur ces grandes étendues blanches hors du temps. S’entendre respirer rend le voyage encore plus intense et unique. Pour moi, la magie du lac a fait son œuvre, son chant m'a apaisé, l'Esprit de la forêt m'a guidé. J'ai repris possession de tous mes sens : écouter, sentir, contempler... C’est l’une des rares activités qui me rend aussi libre et proche de ma vraie nature.

Pourtant sur cette grande route de glace, j'ai été souvent confrontée à mes doutes, à mes peurs, mais peu à peu, j'ai redécouvert mes forces et pu repousser mes limites pour avoir ce sentiment d’être de nouveau à la verticale de moi-même. Cette expédition m'a appris à me faire plus confiance, à me réapproprier le temps et à retrouver un certain ancrage. J’espère, à travers cette marche, inspirer d'autres femmes pour les aider à affronter leurs démons et à aller de l’avant. Il faut persévérer sur son chemin, même si la voie est parfois difficile à suivre, car le voyage et l’engagement finissent toujours par nous transformer. Ça fait des années que je pensais à cette aventure, mais que je n'osais pas vraiment franchir le pas. La grande exploratrice anglaise Felicity Aston m’a fortement inspirée et donnée le courage de me lancer. Je souhaite que mon expédition donnera l’audace à d'autres personnes de croire en elles et en leur capacité de vivre leurs rêves, de se dire que tout est finalement possible : il suffit d'essayer, le destin fera le reste ...

La décision de réaliser cette expédition a été aussi fortement motivée par mes interrogations sur les problématiques humaines, sociétales et environnementales face auxquelles nous sommes tous confrontés. À l’heure actuelle, je suis tellement désarmée par tout ce que je vois à la télévision et sur internet que j’ai l’impression de me perdre dans un monde dans lequel nos besoins essentiels ont été détournés. Notre lien à la nature a été complètement brisé. Je ressens aujourd'hui le besoin de me poser un tas de questions par rapport à notre rythme de vie et à notre connexion à notre planète. Nous ne donnons pas assez de temps à la réflexion sur nous-mêmes dans un monde qui défile à mille à l’heure qui nous fait tourner la tête dans une danse effrénée vers la surconsommation. Je pense qu’il n’y a pas de déterminisme et que nous sommes tous en mouvement et en devenir sur cette terre.

Le Lac Baïkal est en train de mourir sous le poids de la pollution et des tonnes de déchets plastiques qui se déversent en lui. Face aux menaces environnementales, celui-ci pourrait bientôt être inscrit sur la liste du patrimoine mondial en péril.

Au final, je me pose réellement la question de savoir comment prendre mieux soin de nous et de notre environnement pour bien vivre ensemble et essayer de laisser un monde meilleur aux générations futures. Je ne suis pas toute seule dans ce combat, nous sommes nombreux à nous poser des questions existentielles et à chercher les réponses pour donner un sens à ce qu’on l’on vit et à ce que l’on observe avec impuissance. C’est le cas de Lionel Thillet, mon ami réalisateur et cadreur, qui m’a accompagné en Sibérie pour réfléchir sur tous ces sujets. À travers la réalisation d'un documentaire "lettre au Baïkal", nous avons essayé de faire découvrir au grand public la beauté exceptionnelle mais fragile de cette région reculée, afin de faire réfléchir au sens de la marche, à notre rapport à la nature et au temps. J’ai envie de partager ma vision du monde pour vivre de façon plus harmonieuse. C’est avant tout une histoire de partage. J’espère transmettre du rêve aux enfants d'aujourd'hui et de demain pour leur donner envie de prendre soin de notre planète.



Le film "lettre au Baïkal" a été vendu à la chaîne de télévision française Ushuaia TV et diffusé en janvier 2022 pendant le mois consacré aux explorateurs.


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Pour prolonger cet article, je vous cite un passage du livre "Dans mes pas" écrit par l'explorateur français Jean-Louis Etienne : "Marcher c'est parcourir, découvrir, penser, arpenter, fuguer, migrer, manifester, errer. Marcher c'est être seul, en foule, libre, c'est tendre vers un but. Marcher, c'est le mouvement, le rythme, le souffle, la présence au monde. Marcher c'est être vivant. C'est tracer son chemin..."

Buen camino !!!

Lionel de Compostelle


En cliquant sur le logo ci-dessous, retrouvez la version intégrale de l'interview ainsi que la galerie de photos de l'expédition.



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