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Traverser la cordillère cantabrique à pied, ça vous dit ?

Dernière mise à jour : 23 déc. 2023


Crédit photo : Eric Lascar


Eric Lascar a fait bien plus que cela : il est sur le point de terminer un incroyable périple à pied entamé depuis maintenant près de deux ans. Il s’est lancé un sacré défi : traverser les plus belles montagnes de l’Europe de l’Ouest, en autonomie complète au fil des 4 saisons, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige.


A seulement 27 ans, après quatre années passées à réaliser sa thèse en sciences de l’environnement, il a décidé de partir à l’aventure le 16 juin 2019, depuis son domicile de Strasbourg pour relier le sud du Portugal, soit tenez-vous bien, 5 000 km de marche avec un dénivelé positif cumulé de plus de 200 000 mètres.


Ce voyage est la réalisation d'un rêve de gosse qui lui trottait dans la tête depuis bien longtemps. Eric est un chercheur-explorateur dans l’âme, un grand amoureux et défenseur de la nature. Bien qu’il ait décidé de se lancer en solitaire à la poursuite de ses rêves, il aime par dessus tout rencontrer des gens, échanger avec eux sur différents sujets. Avant de franchir le pas vers de nouveaux horizons, il attendait patiemment la fin de ses études, histoire de remettre les compteurs à zéro et de faire le point sur son orientation professionnelle future.

Pour l’instant, il a choisi d’expérimenter et d’orienter sa vie vers les voyages. Tout au long de son périple, il nous plonge dans son univers, au milieu des grands espaces montagneux. Il nous partage son expérience unique du bivouac de Strasbourg jusqu'au Portugal. Eric nous offre une immersion totale grâce à son drone, avec des prises de vue du ciel inédites à couper le souffle. A ses côtés, on survole tour à tour, les Vosges, le Jura, les Alpes françaises du Nord au Sud jusqu’à Nice, les gorges du Verdon, les calanques de Marseille, la côte bleue, la Montagne noire, les Pyrénées, la cordillère cantabrique en Espagne ou encore la Serra Da Estrala au Portugal...


Au-delà des paysages magnifiques parcourus, il nous livre ses réflexions personnelles et ses états d'âmes que l’on découvre tout au long des épisodes de sa web-série : « ciel mon bivouac ». Il nous parle de sa vie nomade, de ses avantages et de ses inconvénients.


Lors de notre discussion, Eric m’en dit plus sur sa démarche : « vivre avec sa maison sur le dos implique forcément des désagréments, des petits trucs qui nous font parfois regretter le confort d'une douche chaude, d'une cuisine toute équipée permettant de partager un bon repas entre amis... Ça c'est sûr ! Mais cela implique aussi un certain retour à la simplicité ! Au cours des épisodes de ma web-série, j'essaye de décrire mes ressentis, mes peurs, mes joies, en essayant de transmettre à travers la caméra toute cette palette de sentiments.»


La première intention d’Eric est de nous montrer la voie. Il souhaite donner le courage à ceux qui hésiteraient encore de poursuivre leurs rêves... C’est vrai Eric n’y va pas par quatre chemins lorsqu’il réfléchit à un tracé d’itinérance : il se laisse porter par ses envies et son intuition du moment, comme il me l’explique au cours de notre échange : « le monde est vaste, les terrains d'aventures sont nombreux. Bien trop nombreux pour tous les explorer... Alors, il faut faire des choix. En voyant cette carte, je me dis tiens, il y a un désert ici, ça pourrait être chouette de le traverser... Oui, mais si je passe par là, je louperai cette superbe chaîne de montagnes qui est plus au Nord, ce serait quand même dommage. Sinon, je peux faire aussi 200 km de détour et faire les deux ? Oui mais bon… et pourquoi pas ? Dans ces contrées européennes, loin des habitations, la montagne est un terrain relativement vierge. C'est un lieu assez anarchique, où les lois édictées par les Hommes, perdent tout leur sens et nous laissent totalement libres de nos mouvements. A nous, alors d'édicter de nouvelles règles de conduite, nécessaires à notre bien-être, notre moral, notre sécurité et parfois notre survie. Oui, mais voilà, une fois celles-ci posées, c'est un tout autre monde qui se dévoile sous nos pas. Par exemple, la notion de propriété, si chère à notre société, n'a plus aucune importance. Personne n'ira vous chercher parce que vous décidez de planter votre tente ici ou là. Pour moi c’est une grande joie de vivre ces moments de pure liberté ! La montagne, c'est aussi là où la nature reste la plus préservée, hormis bien sûr les stations de ski et autres aberrations écologiques. C'est dans ces endroits aussi que l'on ressent la force et la puissance des éléments. Les conditions climatiques que l'on y rencontre parfois sont rudes et nous poussent dans nos derniers retranchements. Elles nous ramènent à ce que l'on est vraiment, c'est-à-dire une espèce animale parmi tant d'autres, sensibles et à l’écoute de son environnement. Il n'y a rien de mieux que de se retrouver bloqué à 2500 m d'altitude, dans une pluie battante par 3°C, pour réaliser la précarité de notre existence. De constater que l'on est si petit face à notre belle et grande planète, mais qu'un rien peut malheureusement bouleverser son fragile équilibre. Voici pourquoi j'ai décidé d'organiser cette longue marche autour des principaux massifs montagneux de l'Europe de l'Ouest. Pour être libre à chaque instant, pour vivre pleinement au sein de la nature.»

Aujourd’hui Eric Lascar a pratiquement relevé son défi : après avoir traversé la France et l’Espagne, il se trouve depuis quelques jours à Lisbonne pour une petite halte avant de rejoindre la Costa Vicentina au sud du Portugal pour réaliser la dernière étape de son périple jusqu'au cap de Sao Vicente en Algarve. Je dois dire que je suis tombé un peu par hasard sur ses vidéos sur YouTube, car j’envisage aussi un jour, de parcourir (plus sagement, c'est vrai) une partie de la cordillère cantabrique sur mon chemin retour, une fois que j’aurai atteint Saint Jacques de Compostelle. Comme lui ma « logique » est de sortir des sentiers battus et de tracer ma propre route en m'autorisant parfois des détours et en passant le plus possible par les montagnes.


Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? C’est la première question que j’ai envie de lui poser ? Eric me répond du tac au tac : « après les Pyrénées, on entre définitivement en Espagne, avec tous l'idée d'aller à l'Ouest pour rejoindre la Galice. Le chemin le plus logique à prendre dans ce cas-là serait l'un des chemins de Compostelle les plus empruntés : soit le Camino Norte soit le Camino Francès que tout le monde connait. Oui, mais non !!! Ces deux chemins passent déjà par de trop nombreuses routes, ce qui n'est pas le but premier de mon expédition, mais surtout ils contournent une immense et magnifique chaîne de montagne : il s’agit de la cordillère Cantabrique. Le niveau d'altitude est moins important en comparaison avec la route de la Haute Randonnée Pyrénéenne (HRP) que j’ai suivi de juin à août 2 020, mais le problème c’est qu’on est dans un trou paumé en permanence. Là-bas, on oublie le tourisme de masse de montagne et ça fait du bien ! Il y a aussi les incontournables Picos de Europa culminant à plus de 2 700 m. Ce sont des monts escarpés, très particuliers, où l'approche doit être relativement méticuleuse, car on ne sait jamais réellement où l'on met les pieds et sur quoi on va tomber. Ce sont des montagnes avec un relief totalement accidenté ! Sur toute cette traversée, il faut donc oublier les sentiers balisés. Par contre, on profite d’une diversité de paysages incroyables, entre la mer et le Pays Basque, entre les zones désertiques et froides de Burgos, les crêtes relativement escarpés de la province de Castille et Léon, les zones pastorales Asturiennes offrant aussi de très beaux paysages de verdure, puis enfin la Galice, « la Bretagne Espagnole », avec ses falaises et ses petites montagnes... Il faudrait beaucoup plus de temps pour te décrire la beauté de cette Trans'Cantabrique, c’est le nom que je donne à cet itinéraire que j’ai entièrement tracé de mes mains. Je serai très fier si un jour d’autres personnes motivées souhaitent suivre cette nouvelle voie et la faire perdurer dans le temps comme une variante montagnarde officielle des chemins de Compostelle, cela me ferait plaisir fou. C’est pour cela que je l’ai mis à disposition gratuitement sur mon site internet https://www.cielmonbivouac.com/itineraire.php Il faut quand même rappeler que cette trace est longue de près de 1200 km, donc c’est un sacré morceau à avaler. Il faut donc être bien préparé pour s’y aventurer.»


Pour avoir parcouru toutes ses vidéos sur Youtube, j’ai remarqué qu’Éric Lascar ne se présentait jamais sous la casquette du pèlerin et pourtant je me sens si proche de sa démarche. Est-il utile de rappeler qu’il n’y a pas de vrais ou de faux pèlerins. Il y a plusieurs chemins, mais aussi différentes manières de les parcourir et donc autant de profils de marcheur correspondant. Mais pour moi, être pèlerin c’est ne pas savoir vraiment où l’on va et finalement ne plus avoir vraiment l’intention d’arriver. Une fois que l’on s’est mis en marche vers soi et les autres, ce chemin est infini, c’est ce que semble aussi me dire Eric au cours de notre entretien : « quand j'ai fait le choix de mettre en place ce projet, ce n'était pas seulement dans l'idée de faire un break pendant quelque temps, mais bien de me construire un avenir, plus proche de mes convictions et de mes passions. Une fois l’extrême sud du Portugal atteint, je ne compte pas m'arrêter en si bon chemin. Si le projet actuel se pérennise, que je peux vivre de cette passion sur du plus long terme, alors pourquoi diable m'arrêter au Portugal, et ne pas vouloir aller plus loin ? Le Maroc serait alors qu’à deux pas ! Dans ce cas pourquoi ne pas prendre la route du sud ? Rejoindre les Canaries en bateau stop, pour ensuite tenter de rejoindre l'Amérique du Sud, par un transatlantique ? Pourquoi ne pas traverser ce beau continent ? Cette idée en est une parmi d'autres ! Difficile de trier dans tous ces projets tous aussi excitants les uns que les autres ! De toutes les façons, je souhaite de tout cœur continuer de produire cette web-série, elle ne va pas s'arrêter à la première saison... Une chose est sûre, tout cela ne serait pas réalisable sans le soutien financier de mécènes et de nouveaux sponsors. Leur aide sera précieuse et me permettra de continuer à faire vivre ce projet en adéquation avec mes valeurs. Alors, je profite de ton article pour renouveler mon appel à contribution : si vous aimez mes vidéos et voulez qu'elles se pérennisent, n’hésitez pas à devenir mécène du projet Ciel mon bivouac! »


Crédit photo : Eric Lascar


Eric Lascar a monté ce projet de randonnée itinérante en se basant sur une certaine éthique et sur des valeurs qui lui sont chères : tout d’abord se laisser le temps des rencontres. Il le reconnait de nombreuses personnes permettent de faire vivre son projet, par la générosité dont ils font preuve, par la richesse des échanges qu’il peut avoir avec eux. C’est une formidable expérience avant tout humaine à vivre. Être seul, arriver dans un village et sans planification aucune, savoir que des femmes et des hommes incroyables sont sûrement à deux pas prêts à vous accueillir. C'est aussi le but de sa web-série : montrer qu'en prenant le temps de la rencontre, on n'est jamais vraiment seul ! Il démontre que des amitiés extraordinaires sont toujours possibles, quand on se rend disponible.


Sa seconde priorité c’est aussi de limiter autant que possible les effets négatifs de ses déplacements sur l’environnement. A la fin de notre échange, il m’en dit plus sur sa vision de l’écologie, sujet qui lui tient tellement à cœur : « n'utiliser aucun moyen de transport carboné, voilà l’un de mes premiers objectifs ! Tous mes déplacements se font à pied, ou, en cas de pépins, en auto-stop ! Il faut qu'on puisse collectivement s'interroger sur notre manière de nous déplacer ! Il faudrait aussi pouvoir inventer une nouvelle manière de vivre, non seulement pour être plus proche de nos convictions personnelles et pour s'éloigner aussi de la petite musique qui nous impose un certain modèle de réussite, à tout prix ! Il faut donc revoir pour chacun d’entre nous, nos priorités et les assumer. C’est la direction que j’ai prise maintenant depuis deux ans. Arriver à vivre avec seulement 25 kg de matériel pendant plusieurs mois, c’est un sacré challenge tout en essayant de limiter autant que possible le changement de matériel, en essayant d’augmenter sa durabilité. J’ai par exemple à plusieurs reprises réparer moi-même la toile de ma tente déchirée par la tempête. Pour sauvegarder la nature, nous avons besoin de consommer moins ! C’est une évidence, mais l'écologie ne peut se limiter seulement à de petits gestes individuels, visant à réduire notre empreinte globale. En restant dans ce système, nous sommes menés dans une impasse. Si nous ne changeons pas rapidement notre manière de vivre, de produire, les conséquences sur le vivant seront dramatiques, elles le sont déjà ! Une fois que l'on a fait ce constat, on a déjà fait la moitié du chemin. Reste à l'ancrer dans le réel et à se lancer dans des actions concrètes ! L'écologie doit être aussi politique ! Politique dans le sens du commun, dans le sens de faire société, ensemble ! Pour cela, nous avons besoin de réinventer collectivement de nouveaux modèles de consommation et de changer les comportements. L'écologie ne doit pas être punitive, mais permettre de trouver de nouvelles manières de vivre ensemble, en redéfinissant totalement nos normes sociales plus en accord avec notre bien commun le plus précieux : la Terre et l'ensemble de la vie qu'elle abrite ! Plus qu'une simple question liée à la randonnée, je dirais que ma démarche est beaucoup plus large. Au travers de mon aventure, je souhaite soulever des questions existentielles : comment arriver à vivre en accord avec nos idéaux ? Comment se constituer un quotidien vivable à l'échelle individuelle, qui soit également soutenable pour les autres ? Comment contribuer à la société, apporter sa petite pierre à l'édifice, sans renoncer à sa liberté individuelle ? Ce sont de sacrées interrogations, n’est-ce pas ? Si ma web-série permet déjà de donner le brin de courage nécessaire à certaines personnes de sauter le pas et de suivre leurs rêves, alors ce sera le plus bel objectif que j'aurais réussi sur ce voyage".


Eric Lascar a donc choisi de nous sensibiliser à la protection de la nature par l’émerveillement, c’est l’idée générale que je retiens de notre entretien. Il veut nous montrer qu'une nature somptueuse est à notre portée, pas besoin d'aller à l'autre bout du monde pour cela...


Pour plus d’informations :

Vous pouvez voir tous les épisodes de la web-série "ciel mon bivouac" sur sa chaine YouTube en cliquant sur le lien ci-dessous : https://www.youtube.com/channel/UCKqPzYt3_gqMaQ9s_yEDkSg


Sur son site internet, vous trouverez toutes ses autres aventures. Eric propose également des tutoriels pour aider les randonneurs en herbe à mener leur propre chemin et à choisir son matériel : https://www.cielmonbivouac.com/


Vous retrouverez enfin Eric sur Facebook : https://www.facebook.com/cielmonbivouac/



Qui est Eric Lascar ?


Avant d'être un explorateur, Eric est un chercheur. Il a soutenu sa thèse de doctorat en Sciences de la Terre, en Géochimie le 30 avril 2019 sur le comportement du radium et ses ascendants radioactifs dans les sols et transfert dans les végétaux terrestres. (à consulter ici pour les plus curieux).


Fervent défenseur de la nature, c’est aussi un passionné de musique, de guitare, de plongée et bien évidement de randonnée puisqu’il marche depuis l’âge de 18 ans. Son CV de marcheur est déjà bien rempli : chemin de Stevenson, Kerry Way en Irlande, Appalachian Trail, traversée des îles espagnoles des Canaries, de Lanzarote, Tenerife, GR20, GR5, sans compter les nombreux treks dans les Vosges...

Son dernier projet « ciel mon bivouac» (saison 1) environ 5000 Km description par étapes :

Juin-Juillet 2019 : Vosges 432 km,

Juillet-Septembre 2019 : Jura 352 km,

Septembre 2019 : Tournette Beaufortin 192 km,

Octobre 2019 : Vanoise 89 km,

Octobre 2019 : Thabor 102 km,

Octobre-Novembre 2019 : Queyras Mercantour 155 km,

Novembre-Décembre 2019 : Verdon 548 km,

Janvier-Février 2020 : Camargue 190 km,

Février-Avril 2020 : Caroux 172 km,

Mai-Juin 2020 : Corbières Pyrénées orientales 217 km,

Juin-Août 2020 : Pyrénées (HRP) 706 km,

Août-Novembre 2020 : Trans'Cantabrique 350 km + 261 km,

Octobre 2020 : Picos de Europa 53 km,

Janvier-Mars 2021 : Montes de Léon 429 km,

Mai-Juin 2021 : Portugal Algarve, Cabo de Sao Vicente 500 km


Saison 2 en projet :

Sud du Portugal,

Sud de l'Espagne avec la Sierra Nevada,

Passage au Maroc et traversée de l’Atlas Marocain,

Traversée des îles des Canaries.


Saison 3 (en réflexion) :

Transaltlantique des Canaries jusqu’au Brésil,

Descente jusqu’à Ushuaïa à vélo par la côte Est,

Traversée de l’Amérique du Sud par les Andes à pied,


Pour terminer cet article, il me revient à l’esprit cette question à méditer : "a-t-on besoin d'un hôtel cinq étoiles, quand on peut dormir à la belle étoile et en apercevoir cinq milliards dans le ciel ?"


Bon bivouac :-)

Lionel de Compostelle


En cliquant sur le logo ci-dessous retrouvez la version intégrale de l'interview, ainsi que la galerie de photos de l'expédition.



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